Ameimse a publié une critique de Le Parlement de l'eau par Wendy Delorme
Le Parlement de l'eau
4 étoiles
Voilà un roman particulièrement foisonnant, dans lequel l'autrice s'amuse à déjouer les classifications, entremêle et fait dialoguer les genres littéraires pour proposer des expérimentations d'écriture au service d'un fil rouge : celui d'une dénonciation de notre présent et de la nécessité de concevoir autrement le rapport des humain·es à l'eau et à son cycle auquel est lié l'ensemble du vivant sur la planète. C'est un objet littéraire qui explore des manières de répondre à une question contemporaine : que peut la littérature face au contexte actuel, que peut-elle à l'ère du Capitalocène ?
Le livre est construit autour de trois couches narratives, superposées mais non rigoureusement cloisonnées. Deux cohabitent dans notre présent, le roman nous plongeant tout d'abord dans un espace d'expression pour des entités aquatiques personnifiées, toutes issues du bassin rhodanien. Ce "parlement" devient un atelier d'écriture, aussi collaboratif que chaotique. Ces entités sont convoquées et se déploient …
Voilà un roman particulièrement foisonnant, dans lequel l'autrice s'amuse à déjouer les classifications, entremêle et fait dialoguer les genres littéraires pour proposer des expérimentations d'écriture au service d'un fil rouge : celui d'une dénonciation de notre présent et de la nécessité de concevoir autrement le rapport des humain·es à l'eau et à son cycle auquel est lié l'ensemble du vivant sur la planète. C'est un objet littéraire qui explore des manières de répondre à une question contemporaine : que peut la littérature face au contexte actuel, que peut-elle à l'ère du Capitalocène ?
Le livre est construit autour de trois couches narratives, superposées mais non rigoureusement cloisonnées. Deux cohabitent dans notre présent, le roman nous plongeant tout d'abord dans un espace d'expression pour des entités aquatiques personnifiées, toutes issues du bassin rhodanien. Ce "parlement" devient un atelier d'écriture, aussi collaboratif que chaotique. Ces entités sont convoquées et se déploient depuis l'imagination d'une autrice, désignée sous l'appellation "Esprit", dont on suit le quotidien et les craintes nourries par le contexte français de 2024. Cette forme de collaboration conduit à la création d'une troisième couche narrative, un récit situé en 2050 laissant entrevoir un futur au sein duquel les dynamiques à l'oeuvre dans le présent de l'autrice se sont accentuées, mais où demeurent des espaces de lutte, des capacités d'agir, malgré tout, préservant un espoir malgré les accents dystopiques ambiants.
Entre incursions dans l'imaginaire, récit (auto)biographique, mises en scène d'une expérimentation créative et d'un processus d'écriture avec ses difficultés et ses fulgurances, ou encore emprunts au registre de l'essai en dialogue avec d'autres oeuvres citées au fil du roman, "Le Parlement de l'Eau" est un livre qui m'a happé par son foisonnement et la multitude des angles et des idées entremêlées. L'autrice fait en pratique cohabiter plusieurs oeuvres en une, au risque de diluer son propos, voire de laisser certaines pistes à l'état d'esquisse, mais en n'en préservant pas moins un fil rouge cohérent et une dynamique d'ensemble qui permettent une lecture fluide. Une écrivaine, armée de son criterium, tente de s'adresser, avec ses moyens, aux crises présentes, avec l'eau comme fil conducteur. En arrière-plan, l'ensemble est animé par une quête : derrière celle fictionnellement dépeinte de la recherche de la source perdue d'une rivière disparue du fait de l'action humaine, l'ensemble est porté par ce souffle des possibles que l'on s'entête à envisager malgré et contre le marasme et la fatalité ambiante.
Dans cette densité, ce qui m'a particulièrement intéressé dans l'oeuvre c'est la manière dont, à partir d'une thèse politique explicite mais qui est un donné de départ et non quelque chose qu'elle interroge narrativement, l'autrice explore avec ses outils d'écrivaine la place et l'enjeu de l'eau, à travers une multitude d'expérimentations littéraires. Cela va d'un anthropomorphisme assumé pour mettre en scène et faire dialoguer ces "corps d'eau", à la façon dont mille et une informations autour de l'histoire de certains cours d'eau et des enjeux contemporains sont distillées au fil du récit, en passant par la quête d'une source -des origines- d'un cours d'eau - pour finir par s'interroger sur ce que représenter l'eau au sens large, son cycle, ses transformations permanentes et sa place sur la planète. Naviguant entre des fulgurances poétiques qui touchent émotionnellement, des usages pluriels de différents registres de fiction et des questionnements sur la façon dont la question de l'eau peut -doit- résonner en 2024, c'est une lecture où j'ai pris du plaisir à suivre les détours.
Un roman, formellement déroutant, mais qui captive de plus d'une façons, et qui a aussi su particulièrement résonner auprès de la lectrice que je suis, parce que j'ai grandi au bord du Rhône - le long d'une de ces lônes tant mentionnées. Car c'est un livre qui sait aussi habiter et transmettre à ses lecteurices ce cadre géographique du bassin rhodanien qu'a choisi l'autrice.